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14 – Le souffle

Depuis le bout de sa table recouverte des assiettes à moitié entamées, et des verres presque tous bus, des étrangers avec lesquels il prenait son repas, Qrahem’terh avait scruté attentivement tout ce remue-ménage depuis l’arrivée de cette troupe. Toutes les personnes se trouvant dans l’auberge s’étaient retournées pour assister au spectacle, contentes d’avoir une vraie bagarre pour les divertir, mais quelque chose d’inhabituel avait pris place ici, s’était-il dit.
Des gens qui rentrent en groupe dans une auberge en faisant mine de rien, ça ne passe pas inaperçu. Et ces Rabatteurs… ils ont dû les filer depuis un moment, et les ont cueillis sans sommation. Curieux.
Si certains poussaient déjà des « olaaa » quand la combattante rousse effectuait, après une parade, un demi-tour circulaire pour taillader le torse d’un des attaquants, d’autres avaient déjà pris parti pour l’homme et son bâton. Avec un esprit aviné, voir se retrouver quelqu’un en face d’une masse d’arme tournoyante avec pour seule défense un bout de bois avait quelque chose de courageux, même si les yeux finissaient par se croiser tant ça défouraillait sec.
Toutefois, ce n’était pas ce qui avait retenu l’attention du guerrier caché dans l’ombre. L’ensemble hétéroclite de ce petit groupe l’avait surpris. Entre ceux vêtus de haillons et ceux portant des vêtements de vrai voyageur, voire de combattants, il se dégageait quelque chose qui ne cadrait pas. Et c’est surtout ce manque d’homogénéité qui indiquait qu’ils n’avaient sûrement pas voyagé ensemble, qu’ils s’étaient retrouvés quelque part et avaient atterri ici. Leurs réactions vis-à-vis des Rabatteurs, entre peur et colère, le tout dominé par une grande surprise, montrait qu’ils ne s’attendaient pas à leur venue. Cela voulait dire aussi qu’ils ne s’y étaient pas préparés, et donc qu’ils n’étaient sûrement pas du coin.
La question était de savoir depuis quand les Rabatteurs les avaient filés, car si ces bouffeurs d’énergies avaient senti les empreintes magiques de la troupe, et qu’ils avaient choisi de les attaquer à l’intérieur d’une auberge, c’est qu’ils ne voulaient pas les voir s’éparpiller. Il fallait pour ces lourdauds les coincer, les acculer, afin d’augmenter leurs chances de réussite… qui n’étaient pas très élevées en général.
Voyant des flammes surgir, Qrahem’terh décida de prendre parti, et dessina sous la table, entre ses genoux, un petit geste aérien qu’il fit avec deux de ses doigts, accompagné d’une légère fumée noire qui s’évapora à la fin de ce signe. Le lourdaud au kriss ne mourrait pas ce soir si les choses devaient tourner encore plus mal qu’elles ne l’étaient déjà. Il fallait qu’il l’interroge pour savoir où et depuis quand ils avaient traqué les empreintes.
Alors qu’un cheval entra avec fougue et énergie dans la taverne, faisant voler en éclat la porte, il comprit soudain qu’il n’était plus là par hasard. La situation était vraiment exceptionnelle. Une lionne rousse virevoltant avec hargne entre les coups ; un moine étrange qui semblait ne pas bouger, mais qui parait les attaques et attaquait presque dans un même mouvement ; deux êtres paniqués tapis dans un coin, apparemment protégés par leurs amis, avec pour l’une des flammes qui lui sortaient de partout et pour l’autre des vibrations énormes qui émanaient de lui et qui faisaient trembler les murs… cela devait être ça dont parlait la confrérie. Un amas de magie que n’avait pas loupé les lourdauds, et dont il fallait remonter la piste.
Si celui au kriss gisait maintenant dans un sol baigné de flammes, les autres n’allaient pas tarder à le rejoindre, mais déjà le cheval s’était baissé pour laisser monter la fille aux flammes, et tapait nerveusement de ses sabots, attendant de ruer vers la sortie. La cavalière, se tournant vers le maigrichon, lui tendit sa main pour l’aider à monter, mais celui-ci se redressa d’un bond, raidi de tout son être, les bras le long du corps et les poings fermés légèrement inclinés vers le haut, la bouche prête à crier. Qrahem’terh pressentant la catastrophe se protégea sous la table, quand un cri gigantesque retentit et qu’une onde d’explosion parcourra toute l’auberge, faisant voler les tables et tomber ceux qui s’y étaient attablés, pousser les chaises et les gens contre les murs, soufflant les combattants au sol et brisant les fenêtres en mille morceaux. Enbarr s’était déjà enfui quand le souffle retombait lentement.

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Auteur de ce chapitre : Perplex.

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