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15 – Cyclone

Depuis qu’ils sont rentrés dans l’auberge, Timothée est sur ses gardes, attendant à chaque instant de se faire jeter dehors pour une raison ou une autre. Il n’arrive à se détendre que quelques instants avant de se sentir observé. Trop de monde, il ne parvient pas à faire la part des choses entre le fond de peur qui lui broie le ventre et la réalité d’une éventuelle menace. Quand les Rabatteurs passent à l’attaque, il opère un repli stratégique en plongeant sous la table.
Mais qu’est-ce que je fiche ici ? C’est qui ces types ? Et c'est quoi ces ARMES ? On est au Moyen-Âge ou quoi ? Je délire complètement, faut qu’je me calme, rien ne va m’arriver, je vais me réveiller, rien ne va m’arriver.
Mais les sensations sont trop réelles, le bois du parquet sale sous ses mains, le fumet du repas, l’odeur de la bière, les conversations bruyantes, le claquement des armes d’Adèle et Roland quand ils parent les attaques de leurs adversaires… Le cerveau de Timothée se réveille en trombe de son long sommeil et tout va beaucoup trop vite, beaucoup trop fort. Il n’arrive pas à se persuader qu’il évolue dans un rêve, il manque un sentiment d’absurdité qui était bien plus présent lorsqu’il arpentait seul les couloirs des catacombes… Ses pensées se mélangent, et il commence à paniquer réellement devant le fossé qui sépare la réalité, sa réalité, celle qu’il a arpentée plus de vingt ans, et ce qu’il vit à présent. Son corps tremble sous l’effort de contenir ses émotions ; il ne sait pas pourquoi cette bande d’individus a accepté de le laisser suivre, il ne comprend pas bien pourquoi ces quatre types les attaquent, mais il ne peut pas se permettre de passer encore une fois pour un monstre auprès d’eux. Malgré tout, des flammes commencent à poindre sur le plancher et il se dégage brusquement en se relevant.
Puis plusieurs choses arrivent presque simultanément : un type à côté d’Anthéa s’enflamme en hurlant, le cheval démolit la porte et atteint rapidement Anthéa qui grimpe sur son dos, Roland défonce le crâne d’un de ses attaquants dans un craquement sinistre, une étrangère aux oreilles effilées désarme un des rabatteurs, un homme crie quelque chose d’une voix outrée, Adèle plonge sa dague dans l’épaule de son assaillant qui vocifère un cri de douleur, et Timothée perd brusquement le contrôle. La chaleur qu’il a déjà ressentie plusieurs fois descend le long de ses membres jusqu’à devenir tellement intense que son seul et unique désir est de la relâcher. Alors que Timothée se raidit brusquement, Enbarr s’enfuit avec Anthéa. Il ne peut plus tenir. Il ne tient plus. Il hurle et d’un coup, toutes les fenêtres crasseuses de la taverne explosent simultanément en éclaboussant d’éclats de verre les personnes à proximité, alors qu’un vent puissant renverse tout sur son passage. Une accalmie de quelques secondes lorsque le premier souffle retombe. Mais la vibration de pouvoir est toujours trop forte, dans un effort pour la contenir, Timothée se recroqueville de nouveau sous la table et serre ses bras contre son corps à en faire blanchir ses phalanges ; en vain. Le vent pénètre de nouveau par toutes les ouvertures et commence à tourbillonner au beau milieu de la salle. Roland se redresse et reste un bref moment abasourdi ce qui permet à Adèle, elle aussi de nouveau debout et peu troublée lorsqu’il s’agit d’éliminer des adversaires, de décapiter les deux Rabatteurs éberlués restants. Le petit cyclone continue malgré tout de prendre de l’ampleur. Un grand silence uniquement troublé par le sifflement du vent tombe dans la salle. Sue se faufile alors avec légèreté entre toutes les personnes figées en train de se relever et de contempler le phénomène hallucinant grossissant sous leurs yeux.
— Eh oh ! C’est fini, tu peux arrêter maintenant ! glisse-t-elle avec malice en se penchant sous la table où Timothée est caché.
Sa voix semble tirer Roland de sa brève torpeur. Visiblement irrité, il se dirige vers la table en question, la projette sur le côté d’un geste rageur et relève en attrapant par le col le jeune homme qui était prostré dessous. Son contact ramène Timothée à la perception de ce qui l’entoure. Une fatigue intense s’abat sur ses épaules. Le vent disparaît aussi soudainement qu’il était apparu, ne persiste qu’une faible brise pénétrant par les fenêtres.
— Tout le monde dehors ! ordonne sèchement l’homme encapuchonné.
Il jette sur le comptoir suffisamment d’argent pour payer repas et dégâts et enjambe un corps avant de sortir de la taverne, traînant toujours avec lui Timothée. Adèle prend leur suite avec un flegme désarmant, tout en rengainant ses armes. Sue sort à son tour en chantonnant. Seul un homme, de nouveau assis sur sa chaise dans un coin sombre, semble bien s’amuser devant le spectacle qui vient de se dérouler.
— La traque promet d’être intéressante, se murmure-t-il à lui-même avec un petit rire.
Deux rues plus loin, dans un cul-de-sac désert, Roland sermonne Timothée. Anthéa est redescendue d’Enbarr et les regarde d’un air consterné.
— Qu’est-ce qui t’a pris ? Ce qui aurait pu passer pour un simple règlement de compte va faire le tour du royaume ! Tu réalises les ennuis que tout ce raffut va nous amener ?!
— Si j’étais toi, je le lâcherais un peu, dit Sue en les rejoignant.
Roland eut un mouvement d’épaule interrogateur.
— Si tu lui fais trop peur, ça risque de revenir, continue Sue dans un sourire prédateur.
Retournant son attention sur le jeune homme, Roland constate que, s’il est très pâle et tremble toujours, son visage semble crispé sous un intense effort de concentration, paupières serrées. Il le lâche immédiatement. Il se déroule quelques minutes durant lesquelles le reste du groupe resta immobile, à regarder Tim progressivement se calmer.
— Dé… dé… dé… déso… désolé, prononce-t-il enfin en redressant la tête. P… p… pas d… d… d… de contrôle.
Il se faufile alors entre les personnes de l’étrange troupe, persuadé qu’il n’est plus le bienvenu parmi eux. C’est Enbarr qui s’interpose le premier et avec un hennissement irrité l’empêche de partir. Puis Adèle éclate de rire.
— Jamais j’aurai parié qu’un maigrelet comme toi pouvait faire autant de dégâts ! s’exclame-t-elle en lui donnant une forte claque dans le dos qui l’envoie valdinguer quelques toises plus loin.
Sue se joint au rire de la guerrière et laisse Roland maugréer dans son coin. Anthéa a également un sourire un peu distant. Timothée finit par rire lui aussi, encore plus perdu qu’auparavant au milieu de ces gens aux capacités extravagantes qui acceptent si facilement ses étranges pouvoirs. Son rire sonne bizarrement, comme un mécanisme rouillé depuis trop longtemps.
Enfin, comme ils s’apprêtent tous à repartir, leur humeur redevient beaucoup plus sobre ; une silhouette est apparue au bout de la ruelle et se tient postée bras croisés, barrant le passage.

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Auteur de ce chapitre : Macchaab.

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