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23 – Les cloches sonnent

Osant faufiler une tête apeurée sur le côté du comptoir, le tavernier au local dévasté n’en revenait pas. Et ses clients non plus. Entre bouts de chaises et chopes brisées, les restes des assiettes, des vitres et autres fûts de bière s’étalaient partout. Assis cul par terre, un habitué voulant se relever glissa sur un morceau de viande baigné dans la vinasse, et pouffa tout haut :
— Vin Sort ! Mes potos, ça, c’était du spectacle !
Ce qui n’était pas du goût du tenancier qui, les quatre fers en l’air, commençait à prendre conscience du désastre, et à fulminer. Il en avait vu des bagarres, des grandes, des furieuses, des pitoyables aussi, mais là il dut admettre qu’ils avaient fait fort, les nouveaux. C’était la première fois qu’il les voyait et ce serait la dernière, il le jura à qui voulait l’entendre.
— Par les verrues du grand Cornu, qu’on m’pende si jamais j’les r’vois ici ! J’leur ferai boire d’ma limonade à moi, si s’en reviennent.
Qrahem’terh l’entendant commencer à se relever se dégagea brusquement du fatras qui l’encombrait. Il fallait agir vite. Il sauta par-dessus un client face contre terre, enjamba une table renversée et scruta attentivement la débâcle générale. Tout en attrapant son rabatteur par la peau du coup, il envoya valser une chaise d’un coup de pied, atteignit le comptoir et jeta le corps inanimé dessus.
— C’est à cause de ces porcs des marais puants tout ça !
Le gérant était presque relevé, certains clients aussi, mais il lui restait juste assez de temps pour subtiliser l’argent laissé sur le comptoir. Il ne fallait pas les laisser partir. Tout en relevant la tête du rabatteur, il fit juste assez de bruit pour couvrir le bruit de l’argent qui tombait dans sa besace.
— Tenancier ! Je connais ce genre de lascars, et croyez-moi si des pas tendres comme eux se permettent de venir tout casser, c’est qu’il y a suffisamment d’or à la clef pour qu’ils se la coulent douce, et donc pour vous de réparer les dégâts. Encore faudrait-il que personne ne s’échappe de la ville.
Le gérant, s’essuyant les paumes des mains sur son pantalon sali, releva la tête, interloqué. Le guerrier qu’il avait en face de lui tenait par le col un des assaillants, et le regardait d’un air sévère. Ce que ce dernier prit comme invitation.
— Si on fait sonner le tocsin, le guet et les autres gardes parviendront à les arrêter, mais il faut agir vite. Si vous me promettez une part de ce qui vous revient, je file direct à leur poursuite pour barrer leur route.
Surpris, le patron ne pensait maintenant plus aux dégâts, mais à la solution présentée. Il commença par bredouiller, mais se reprit, en vue peut-être d’un miracle qui allait se produire
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— Euuuh ! oui… oui, oui… Bien sûr mon brave, si vous faites ça, en plus de votre part je vous offre une semaine complète, et vous goûterez au fameux ragoût du Lotus Noir.
— Bien ! Mon cheval n’est pas loin, je passe les fers à cette crapule en passant, et vous, vous courez aux cloches du village, et je préviens les gardes. Mais partez maintenant et préparez le ragoût.
Un grand sourire de soulagement se dessinait sur la mine auparavant déconfite, tandis que Qrahem’terh sortait en traînant le rabatteur par le col. Le gérant se mit à courir vite, et bientôt le village réveillait ses habitants endormis à grands coups de cloches résonnantes.

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Auteur de ce chapitre : Perplex.

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