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8 – Nuit agitée

Timothée est stupéfait. Une émotion qu’il n’a pas ressentie depuis longtemps. Il contemple d’un air idiot les arbres qui l’entourent. Des arbres… Tant d’arbres. Il n’avait pas vu autant de verdure depuis… depuis qu’il s’était enfui du pavillon de chasse à l’abandon de son père, où il avait vécu en reclus. Il fait quelques pas. Ses vieilles baskets froissent sans bruit l’herbe haute. Un hurlement animal au loin le fait sursauter et le tire de son émerveillement aussi vite qu’il s’y était perdu. Il se rappelle qu’il fuit. Il ne sait pas trop quoi, comme d’habitude. Ça avait été un jour comme ça. Une journée à fuir un poursuivant anonyme dans le dédale des catacombes parisiennes. Il se remet à courir sans réfléchir plus avant. Il n’est sûr que d’une chose : il ne doit pas être rattrapé. L’air froid dans ses poumons lui remémore la poursuite. Il avait couru de toutes ses forces. Mais l’autre gagnait du terrain, et il sentait bien que la fin approchait. Il pouvait presque sentir une main froide se poser sur son épaule et le tirer en arrière. Alors, en proie au désespoir, il avait tenté d’ouvrir une vieille porte en métal, sur laquelle d’étranges tags étaient dessinés à la peinture rouge. Il avait appuyé de toutes ses maigres forces et de toute sa peur. Et la porte avait cédé. Ensuite… ensuite… Il se rappelait le lourd battant qu’il avait ouvert et refermé derrière lui et puis… et puis rien, il s’était retrouvé, d’un coup, ici.
Sa course s’arrête brusquement lorsqu’il accroche le pied dans une racine et s’effondre de tout son long. Le souffle momentanément coupé, il se redresse avec lenteur. Quelques mètres (1) plus loin, une route en pierres inégales. Il s’en approche précautionneusement. La route traverse la forêt et semble se poursuivre vers des collines au loin. Personne. Au hasard, Timothée s’engage en direction du soleil qui commence déjà sa course descendante.
Alors que le ciel se colore de rouge et qu’il commence à frissonner sous la brise du soir, le jeune homme à l’ouïe bien développée par son état d’alerte constant croit percevoir des bruits approchant derrière lui. Aussitôt, il se réfugie dans un fourré. Il faut plusieurs longues minutes avant que n’apparaisse une étrange compagnie ; un homme de grande taille, le visage caché sous un capuchon, marchant à côté d’un cheval d’un blanc éclatant. Sur le cheval, une jeune femme aux yeux cernés et aux bras recouverts d’étranges motifs, un peu derrière une autre femme plus grande et musclée à l’épaisse chevelure rousse en grande discussion avec une petite fille aux mèches de couleur semblable à son aînée qui se tenait un peu plus écartée que nécessaire du reste du groupe malgré la conversation engagée. À sa vue, un frisson parcourt le dos de Timothée et il sent une vague de sensation étrange le traverser alors que son corps se crispe complètement. De toutes ses forces, il tente de devenir invisible. À travers les branchages, il retient son souffle et lorsque l’étranger de haute stature tourne son visage vers sa cachette il ferme même les paupières. La conversation du groupe ne s’interrompt pas et ils passent leur chemin. Timothée rouvre les yeux, la respiration toujours bloquée et les surveille pendant qu’ils s’éloignent de lui. Comme ils allaient disparaître à un tournant de la voie, l’enfant se retourne sans interrompre sa marche et pour quelques secondes à peine, ses yeux rencontrent ceux de Timothée. Des yeux rouges. Puis les étrangers disparaissent.
Il faut plusieurs minutes au jeune homme pour calmer son cœur battant la chamade. Mais où se trouve-t-il ? Était-ce vraiment une épée qui pendait derrière le dos de la femme à pied ?
J’hallucine. Comment je me suis retrouvé ici ? Il faut que je retrouve la ville.
Il hésite un bref instant avant de reprendre la route à la suite du groupe.
Ils sont plus rapides que moi, je ne les rattraperai sûrement pas.
La nuit est bien avancée quand il atteint enfin, exténué, un village à l’allure délabrée et lugubre sous le faible éclairage des étoiles. Timothée tremble de froid. Une grange un peu à l’écart attire son attention. Un abri. Il a désespérément besoin d’un abri pour le reste de la nuit.
Si le groupe que j’ai vu tout à l’heure s’est arrêté ici, autant ne pas trop s’approcher.
Il pousse la porte du fenil au verrou cassé et se fige bouche bée devant le spectacle qui se déroule face à lui. L’une des femmes du groupe est agenouillée juste devant, les motifs sur ses bras ressortent brillamment et éclaire d’une lueur forte l’intérieur de la grange. Comme il recule d’un pas, elle redresse vers lui un visage couvert de larmes. Mais son expression de détresse ne dure qu’un bref instant et son visage se contracte rapidement sous la peur. Avant que Timothée n’ait pu même envisager la fuite, une voix de petite fille résonne derrière lui.
— Je vous avais bien dit qu’un autre arrivait. Ronronne Sue.
Alors qu’une vague de panique le prend, une gerbe de flammes surgit d’une botte de foin à proximité de Timothée. Mais avant que le feu n’ait le temps de se disperser, une lourde couverture s’abat et l’étouffe immédiatement.
— Qu’est-ce qu’on en fait ? grogne Roland de sa voix grave en secouant la couverture qu’il venait de tirer de son gunna.
— Tout ce que vous voulez du moment qu’on peut dormir ! s’exclame Adèle un peu plus loin.
Roland évalue un moment le garçon tremblant devant lui. Puis il hausse les épaules, et va aider Anthéa à se relever avant de repartir se coucher.
Un rire cristallin et des pas légers frôlent Timothée et il entend dans une odeur fétide et un murmure surnaturel :
— tu ferais mieux de rester. Je ne sais pas ce que le Codex dit de toi, mais tout seul ici, tu n’as aucune chance !
Puis le silence retombe dans la grange. Complètement décontenancé et épuisé, Timothée se laisse tomber à proximité de la porte ; il finira bien par se réveiller.

***
Note :
(1) Timothée – issu dans notre monde – utilise le système mètrique.

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Auteur de ce chapitre : Macchaab.

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