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71 – La reconquête D’Alastyn

La flotte, gigantesque organisme, abritant plus de deux cent mille combattants est à l’arrêt, voiles baissées. Les gwath ont provoqué une stase dans laquelle elle ne risque pas d’attaque, mais ne peut pas bouger non plus. Rien ne montre sa présence, si ce n’est que les lignes droites des objets semblent parfois se dissoudre.
Dans la salle du navire amiral, Aran, Anfauglith et Phorcos attendent, en compagnie de Sulimé, générale en chef des légions, et Milyë guide des dragons, Grüchka commandant des phalanges naines et Lorindol, général des archers sylvestres. Les neltas en l’absence d’Ainu sont représentés par Othar.
Anfauglith se dresse.
— L’île est ouverte !
Tous les capitaines présents se lèvent.
— Chacun sait ce qu’il a à faire. Hissez les voiles de combat ! Sortez les étendards, ils doivent savoir à qui ils ont à faire.
Ils montent sur le pont. Les voiles se lèvent, les voiles de guerre de la maison Sangdragon. L’ensemble de la flotte commence à manœuvrer. Les gigantesques tambours de guerre commencent à ébranler l’atmosphère. Les grands dragons se rapprochent et se posent sur l’eau à côté des bateaux où sont leurs cavaliers. Milyë monte sur le cou de son dragon et le lance dans le ciel. Aran donne les derniers ordres. Sindaril nage à côté de la frégate. Les bateaux se rapprochent de la côte. Soudain, Aran se crispe. Anfauglith, qui a déjà enfourché sa monture, un tout petit dragon aux ailes de chauve-souris se tourne vers le prince.
— Ainu…
Le prince Elfe a l’habituel geste vers le ciel.
— Une de moins par ici…
Les Elfes sur le pont reprennent en cœur.
— Une de plus par là-bas…
Aran saute sur le cou de son dragon et s’envole au milieu de la nuée des gwath qui se lancent vers le ciel sur leurs petites montures rapides.
***
Au sommet du château, Sue ressent encore un sentiment étrange en pensant au sacrifice d’Ainu. Liam l’a empêchée de s’occuper du corps de la princesse. La perte du maître-mage noir semble avoir décuplé la férocité des survivants. Au loin, sur la mer, un spectacle lui coupe le souffle. Une gigantesque flotte vient d’apparaître. Plus de huit mille navires occupent l’horizon. Sur les flots entre eux, des milliers de cavaliers des mers naviguent.
— Oh lala, c’est beau !
Derrière elle, Adèle tient un côté des entrées à la terrasse, avec Enbarr et Tinuviel. Anthéa et Eileen ont donné la main à Tim pour le calmer et lui permettre de se concentrer. Tim fait des merveilles en pulvérisant les assaillants qui se lancent et tentent de pénétrer dans les tours de l’autre côté. Roland se déplace d’un côté à l’autre, là où la pression devient trop forte. Blue ne quitte pas Anthéa d’une semelle, bien décidé à la protéger. Le sacrifice de grandes oreilles le plonge dans le désarroi. Il commence à percevoir ce que sa lumineuse lui a dit “il n’y a pas de chef, chacun donne en fonction de ses compétences”. Ses sens de loup sont perturbés. Il ne sera jamais un chef de meute comme les autres. Les Elfes survivants se sont répartis sur les murailles, et avec les arcs qu’ils ont récupérés, ils font pleuvoir une nuée de flèches sur les assaillants qui essaient de s’introduire dans le château.
Des coups de tambour ébranlent l’atmosphère. Des voiles, toutes identiques, bleues, avec un dragon rouge enroulé autour d’une épée, sont hissées sur les navires. Le tambour tonne une fois toutes les dix secondes maintenant. Soudain, des ponts d’une partie des transports les grands dragons s’envolent, suivis par une multitude de plus petits dragons. De partout, de gigantesques bannières sont hissées.
Liam s’approche de la petite morte.
— Les dragons ont décollé en premier, et derrière, les plus petits sont les montures des gwath. Ils sont là pour contrer les attaques magiques.
— Et les voiles sont bien décorées.
— Ce sont les voiles de guerre du prince Sangdragon. Maintenant, l’ennemi sait quel général est en face de lui.
Sur la plage, face aux bateaux qui commencent à avancer, des Orcs s’agitent, et installent des lance-rocs. Dans le ciel, on voit se former le début d’un vortex. Les grands dragons fondent sur la plage et carbonisent plusieurs machines. Certaines commencent à tirer. Quelques bateaux sont touchés, des Elfes tombent à la mer, vite secourus par le peuple de la mer.
Un groupe de petits dragons fonce vers le vortex qui vacille puis disparaît à leur approche. Un premier groupe de plus de deux cents bateaux approche de la plage, les bannières sont des têtes de loup de gueule sur fond azur.
Les grands dragons prennent un peu d’altitude, et une première volée de flèches de scorpions tirées des plateformes avant des assaillants dévastent la plage. Les dragons fondent à nouveau sur les lance-rocs. Sur la plage, un début de panique s’installe. La désorganisation est totale. Les bateaux Elfes s’arrêtent presque sur la plage, et la première légion saute à terre. Les Elfes n’ont pas le temps de se mettre en formation, la mêlée s’engage, les pertes sont énormes… Les dragons font un nouveau passage sur la plage, les derniers lance-rocs sont en feu. Le sacrifice de la première légion n’est pas vain, à peine les premiers bateaux dégagés, une deuxième, puis une troisième légion débarquent. Bannière, serpents sur fond argent et licorne sur fond sinople. Les Elfes sont en formation et avancent vers la mêlée. Les survivants de la première légion reculent et se mettent à l’abri derrière.
Sue bat des mains
— La déchiqueteuse…
Et effectivement, la formation montre son efficacité. Les Orcs sur la plage se font tailler en pièces.
Liam murmure…
— Et maintenant les neltas, puis les nains…
Une nouvelle vague de bateaux, plus bas, à fond plat, s’échoue sur la plage. Leur avant s’ouvre et les neltas en sortent en hurlant, chevauchant leurs licornes. Leur cri de guerre, repris par tous les Elfes, parvient jusqu’au château.
— Sang - dra - gon !
Les tambours continuent de résonner dans un rythme binaire lancinant. Maintenant, la moitié de la plage est libérée, couverte de cadavres et de blessés. Les vagues de débarquement se succèdent. D’abord les phalanges naines qui se forment, puis s’avancent derrière les légions qui combattent. Les manipules se séparent pour laisser la place aux solides murs de piques des nains. Le front s’élargit. Les neltas galopent d’un côté à l’autre, rendant inefficaces toutes les tentatives des Orcs pour déborder les formations. Les grands dragons détruisent systématiquement les lance-rocs à peine ces derniers en place. Quelques manipules s’effondrent, les neltas sont toujours présents et couvrent les survivants qui refluent vers la plage, et se reforment avec les restes d’autres neltas.
Les gwath tiennent le ciel, et déjouent les attaques magiques.
Sous la mer, une autre bataille fait rage entre le peuple de la mer et les animaux corrompus par les mages qui essaient de couler les bateaux.
Maintenant, toutes les troupes sont déployées sur la plage et se dirigent vers la lisière de la forêt, chassant les Orcs devant eux. Depuis les frondaisons, des dizaines de scorpions commencent à tirer sur les troupes.
Juché sur Sindaril, Aran, encadré de quatre gwath, et suivi par une partie des dragons, plonge vers la forêt. Un feu de plasma carbonise les machines de guerre.
Les Orcs fuient dans le sous-bois, un calme précaire s’installe. Les Elfes, depuis la plage, voient un grand nombre de Sourges s’agiter dans le bois. La troupe attend avant d’avancer.
Du haut des remparts, Sue s’égosille.
— Ils se regroupent dans la plaine derrière la forêt.
Liam la calme.
— Ils ne peuvent pas t’entendre. Maintenant, ils doivent d’abord passer la forêt. C’est un travail pour les archers sylvestres.
Les tambours de guerre continuent leur fracas binaire. La plage est occupée sur toute sa largeur, les trois phalanges naines au centre, flanquées de six légions de chaque côté.
Sautant par dessus les phalanges les archers sylvestres se ruent dans la forêt. Agiles, ils grimpent dans les arbres. Un combat au corps à corps s’engage avec les Sourges, pour libérer l’orée de la forêt. Les neltas surgissent sur les côtés et profitent de l’exceptionnelle agilité des licornes dans la forêt pour soutenir les archers qui finissent par s’installer sur les arbres. Les Sourges, peu disciplinés, se dispersent, faisant des cibles de choix pour les archers et les neltas.
La flotte a maintenant reculé un peu plus loin au large. Le peuple de la mer arrive à maintenir à distance les attaques sous-marines des animaux corrompus, qui commencent à se faire plus rares. Les mages noirs affaiblis par les gwath ne parviennent plus à les dominer.
Sur la plage, l’armée s’est disloquée et pénètre dans la forêt en colonnes en profitant de la couverture des archers.
Pendant ce temps, les dragons et les gwaths survolent la plaine. Ils doivent désorganiser la défense et détruire autant de lance-rocs que possible avant que l’armée ne sorte de la forêt.
Malgré l’attaque, le corps d’armée principal des Orcs arrive à se grouper au milieu de la plaine, dans un grand troupeau.
Soudain, invoqué par les mages noirs, un gigantesque monstre apparaît dans le ciel. Griffu, couverts de pointes, il se rue à l’attaque des dragons. En quelques minutes, deux d’entre eux et leurs cavaliers tombent du ciel. Les autres se regroupent autour des deux montures d’Aran et de Milyë. Rien ne paraît devoir arrêter le monstre qui se rue vers eux.
Au sol, les Orcs finissent de déchiqueter et de manger les victimes.
Pendant ce temps, les Sourges en déroute sortent de la forêt. Ils fuient, pourchassés par les neltas qui les fauchent à l’arc. Les animaux se ruent sur les Orcs et commencent à les attaquer. Les Orcs sont obligés de tuer leurs alliés.
L’armée commence à sortir de la forêt et se remet en formation et s’arrête.
Le monstre aérien est maintenant à une vingtaine de toises d’Aran qui s’est avancé seul. Anfauglith et trois autres gwath foncent vers le sol. Sindaril crache une langue de plasma qui semble passer à travers le monstre sans lui causer le moindre mal. En dessous, les gwath ont localisé le groupe de mages qui anime le monstre. Soudain, le monstre stoppe son attaque alors qu’il était prêt à frapper le prince Elfe immobile. Il se secoue d’un côté et de l’autre comme pris dans un dilemme, attaquer ou fuir.
Les gwath fondent sur les mages, et assèchent leur magie. Le monstre dans le ciel est hors de contrôle et commence à disparaître.
Au sol, les Orcs et les Sourges ont fini de s’expliquer. Les archers et les neltas font pleuvoir une nuée de flèches sur les premiers rangs.
Maintenant, l’armée est complètement déployée, et arrive à commencer à encercler les Orcs. Sur les ailes, la déchiqueteuse se remet en marche.
Privés de pouvoir par les gwath, sans défense, les mages noirs tombent sous les griffes des gwath et de leurs montures ou se rendent les uns après les autres.
Sur les remparts, Sue s’inquiète.
— Les Orcs sont encore dix fois plus nombreux que les Elfes.
Liam a un sourire.
— Les mages noirs se rendent, c’est la fin. Les Orcs sont en train de perdre leur cohésion.
— Mais même en panique, ils peuvent encore submerger l’armée. 
— Regarde !
Sur le terrain, les Orcs sont privés de direction. Les chefs de clans commencent à rassembler leur troupe et à donner des ordres incohérents. L’armée des Elfes et des nains s’est arrêtée, et s’est hérissée de pointes. Les tentatives d’envahir la terrasse ont cessé.
Puis un chef orc se rue sur un autre et tente de le tuer. En quelques minutes, la bataille fait rage, mais ce sont les Orcs qui se battent entre eux. Ceux qui tentent de fuir le champ de bataille sont poursuivis puis abattus par les neltas, ou viennent s’empaler sur les lances des phalanges et des légions.
Les dragons font encore quelques passages au-dessus de la mêlée et créent encore plus de panique en carbonisant les combattants.
Aran sur son dragon se tourne vers le château. Accompagné de Milyë, il s’envole vers la terrasse, laissant derrière lui la bataille qui se termine.
Quand Anthéa voit les deux grands dragons s’avancer délicatement, elle a un choc et se retrouve plongée en arrière… Aran saute de sa monture à côté du ka-tet, suivi par Milyë.
— Je vous présente Milyë, ma fille, la mère d’Ainu.
Sue se rappelle brusquement de ce qui est arrivé. Elle ressent en elle quelque chose de nouveau. Elle a la voix rauque quand elle essaie de parler.
— Ainu…
Aran et Milyë la regardent, en cœur, ils ont à nouveau le signe vers le ciel.
— Une de moins par ici, une de plus par là-bas…
Aucun des deux ne semble abattu par la mort de la princesse.
Roland reste silencieux.
Il faut que j’en apprenne plus. Ils cachent quelque chose.
Aran prend la parole.
— La bataille va se terminer. Les troupes vont nettoyer le terrain avant de repartir… il s’adresse maintenant au ka-tet : dans trois ans, je vous invite à Lempëa, il se tourne vers Roland. Je n’ai pas le temps maintenant, mais je vous donnerai des explications, et la bibliothèque contient un grand nombre d’ouvrages uniques. Ça devrait vous plaire.
Roland acquiesce.
— Ça sera un plaisir.
— Liam, tu as les moyens de t’occuper des mages noirs, même quand les gwaths ne seront plus là. Je laisse leur sort entre tes mains.

***
Auteur de ce chapitre : Sangdragon.

 ou 

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