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10 – Sombres pensées et bon repas

Ils se mirent tous en route, en direction de la ville.
À cinq toises en arrière, Sue regardait l’étrange équipage qui s’était constitué. Le patchwork de leur groupe était pour le moins hétéroclite, et pourtant, étrangement, il formait un tout harmonieux.
Abruptement, Sue réalisa ce qu’ils avaient tous en commun : chacun à leur manière, et certains sans même en avoir conscience, ils étaient tous de redoutables Trompe-la-Mort.
La fillette rumina cette idée, pensive. Ce n’était pas exact de dire qu’elle n’était là que par opportunisme. Un mal grandissait dans l’ombre, un nuage de souffrance et de mort qui s’étendait sur le destin d’Anthéa et, par extension, sur celui de tout son monde.
En temps normal, cela n’aurait pas dérangé la fillette outre mesure. Mais la vie et la mort constituaient un ensemble délicat, une balance subtilement équilibrée que l’ordre cosmique veillait à garder en l’état.
Et que le Destin – non, le Ka – ait jugé bon de mettre autant de poids lourds sur le plateau de la vie – elle comprit – en disait long sur la masse d’emmerdes qu’il y avait désormais sur celui de la mort…
Ça pue l’apocalypse, tout ça !
Et en parlant de puer… Elle avisa Enbarr, qui piaffait nerveusement, les naseaux grands ouverts. Soupirant, elle s’aspergea d’une grosse moitié de sa fiole à parfum. 
Voilà qui devrait le calmer un moment
Chassant ces considérations, Sue reporta son attention sur son groupe. Adèle semblait affamée, et elle n’était pas la seule : Tim et Anthéa avaient une petite mine. Quant à Roland, si son port léonin et assuré traduisait une relative bonne santé, mieux valait qu’il s’économise tant qu’il le pouvait encore.
Au final seul Enbarr, gavé de foin, semblait en forme.
— On devrait aller à la taverne du « Lotus Noir » !
Ses compagnons se retournèrent vers elle, attentifs, et elle poursuivit.
— Non seulement vous pourriez y manger, mais j’ai aussi repéré deux trois rôdeurs cette nuit, qui devraient avoir des informations utiles. Anthéa, corrige-moi si je me trompe, mais tu ne sais toujours pas exactement où est ton royaume, pas vrai ? On ne peut pas se permettre d’attendre que ta mémoire revienne pour pouvoir y aller.
Adèle et son estomac souscrivirent avec enthousiasme. Roland considéra le problème un instant avant d’acquiescer à son tour.
Anthéa et Tim étaient réticents, partagés entre la perspective d’un bon repas chaud et de beaucoup trop de monde autour d’eux. Il fallut la promesse de Roland de se mettre à la table la plus au fond et tranquille de la taverne pour achever de les convaincre.
Tandis qu’ils s’y dirigeaient, Sue se rapprocha d’Anthéa.
— Je resterai avec Enbarr à l’extérieur, alors je vais te confier quelques-uns de mes papillons. Ils seront mes yeux et mes oreilles à l’intérieur. Tu pourras aussi communiquer avec eux par télépathie si tu veux : c’étaient des humains autrefois alors ils savent parler. Voilà Cléo’, Socrate, Nobu’ et celui qu’a l’antenne coupée, là, c’est Vincent.
Les quatre papillons voletèrent un instant autour d’Anthéa qui s’était arrêtée. Leurs ailes tranchantes la frôlaient délicatement, la caressant sans jamais la blesser. Ils se posèrent sur ses bras, le bleu de leurs ailes luisant comme pour rappeler celui de ses arabesques.
Autour d’elle, le Ka-tet retint son souffle, et le temps se figea tandis qu’ils observaient les créatures.
Finalement, les papillons s’envolèrent tous en même temps, formant un ballet dansant autour de la tête d’Anthéa alors que le groupe reprenait sa marche.
Ils arrivèrent finalement à la taverne. Tandis que ses compagnons y rentraient, Sue attacha Enbarr près de l’abreuvoir et grimpa avec agilité sur le faîte d’un toit voisin, pour y goûter la vue et des racines de pissenlit.
Durant le premier quart d’heure, ses papillons ne lui transmirent rien d’autre que le bruit de ses compagnons qui se sustentaient.
Ils en étaient au dessert quand les choses se gâtèrent…

***
Auteur de ce chapitre : Loove.

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