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59 – Fiume

Le lendemain de mon premier tête à tête avec Lumineuse, elle a repris la route avec son “Ka-tet” – c’est un genre de meute, mais sans lien familial –, depuis nous suivons la même route. Ils sont lents. C’est après avoir rôdé suivant les pistes de proies éventuelles, avoir chassé, m’être nourri, que le soir je m’approche de leur bivouac et appelle Lumineuse.
Toujours, elle vient accompagnée de Crinière d’écume, et de Crinière rouge. Crinière d’écume n’est pas un “qui marche debout”, il ressemble à une proie – proie dangereuse même pour une grande meute –, mais n’en est pas une, je ne perçois pas ses pensées, mais lui peut me les faire connaître.
Tous les soirs Lumineuse me parle, elle sait qu’elle n’a pas besoin de parler, mais elle me parle. Lumineuse a deux voix. Celle avec laquelle elle conte ses pensées, douce et chantante ; et celle avec laquelle tous les soirs elle me demande qui je suis, plus forte plus envoûtante. Après que je lui ai donné mon nom, ses accompagnants s’éloignent d’elle de deux toises et scrutent la forêt comme deux louves chargées de veiller sur les louveteaux, Lumineuse s’assied je m’approche et me couche devant elle. Elle enfonce une main dans ma fourrure, plonge ses yeux dans les miens et me parle d’elle, de ses espoirs, ou parle de moi, elle dit que je suis beau, fort, intelligent et que la louve que je choisirai aura de la chance.
Elle a été chassée de sa meute alors qu’elle n’était qu’un louveteau, d’autres “qui marchent debout” ont soumis le couple alpha qui l’a engendrée. Maintenant, elle veut avec sa meute – son Ka-tet et la horde de ceux “qui marchent debout” qu’elle a rencontrée dans la grande plaine –, défier ceux qui ont soumis les siens. Son histoire est semblable à la mienne, comme moi elle rendra la meute à ses géniteurs.
Ce soir, Lumineuse m’annonce que demain avec son Ka-tet elle va entrer dans une “ville”, c’est un immense rassemblement de tanières pour ceux qui “marchent debout”, elle me demande de l’accompagner, je ne veux pas, elle change de voix.
— Blue demain… puis avec sa voix habituelle, non, je ne peux pas faire ça !
Lumineuse m’explique qu’il est important que je vienne avec elle, et que le mâle dit que si nous nous sommes rencontrés elle et moi c’est que le “Ka” – je n’ai pas réussi à comprendre qui est le Ka qui n’est personne, ni rien, mais est important ? – l’a voulu et qu’il faudrait que j’intègre leur ka-tet. Mais je n’ai pas quitté la meute pour me soumettre à Oreilles pointues qui se comporte comme alpha. Quand j’intégrerai une meute, je serai le chef.
Lumineuse m’explique que le Ka-tet ne fonctionne pas comme une meute, il n’y a pas de hiérarchie dans le Ka-tet chacun apporte ses connaissances et son savoir-faire, je ne comprends rien. Qui décide ? Pas toujours le même dit-elle celui qui est le plus compétent pour répondre au sujet concerné. Comme je lui fais remarquer que je ne suis pas un “qui marche debout”, elle me répond que Crinière d’écume non plus, mais qu’il est membre du ka-tet.
Après la ville, ils devront utiliser un bateau – très grande tanière en bois qui flotte sur l’eau comme les troncs dans les rivières –, Lumineuse dit qu’elle a besoin de moi, qu’elle restera auprès de moi que je n’ai pas à avoir peur. Je gronde, je n’ai pas peur, je suis Blue. Demain soir, à cinq lieues au nord de la ville, au bord de la mer – immense épandue d’eau –, Lumineuse viendra me chercher dans une barque – petit du bateau –, si elle n’est pas là, je devrai y retourner tous les soirs jusqu’à ce qu’elle vienne.
A-t-elle utilisé sa voix envoûtante ?
***
Dès la sortie de la forêt le ka-tet aperçoit Fiume, en trois heures ils traversent la plaine les champs et les fermes sont intactes, le bétail est dans les prés, ils entrent dans la ville, la ville haute n’a pas été touchée par la catastrophe, mais la ville basse est dévastée, des elfes aident les sorcières, les apothicaires et les moines aux soins donnés aux blessés, les bûchés sont déjà froids, à leur nombre on peut estimer le nombre de victimes à plusieurs milliers. Des nains aident les tailleurs de pierres et les maçons, leur expertise a permis en moins de dix jours d’évacuer la totalité des gravats, de trier tout ce qui était récupérable, et d’entamer la reconstruction. Les forestiers ont déjà amené suffisamment de troncs, pour qu’un quai soit opérationnel. Les vaisseaux détruits ayant été entièrement consumés par le feu magique des mages noirs, aucune épave ne bouche les bassins du port.
Une caravelle est à quai, le ka-tet en approche quand on les hèle depuis le château arrière, à leur grande surprise ils reconnaissent le capitaine Paddock, qui les invite à monter à bord.
— Lorsque les pigeons qui ont amené les messages annonçant la catastrophe sont arrivés, mille millions de mille sabords, le bon Couche-Nerf a créé une organisation “rebouteux transfrontière”, collecté des couvertures, des toiles de tente, des onguents, des herbes, des potions et des soignants bénévoles pour secourir les Fiumeyant. Il restait le plus délicat… Transporter le tout à Fiume, en des délais impossibles. Alors Le Grimoire avec le courage et l’héroïsme des Paddock, a sacrifié une page pour transformer le cogge en cette splendide caravelle, qui garde son nom de “L’Unicorne”. Nous avons chargé toutes les marchandises, embarqué tous les bénévoles, et mon ancêtre a sacrifié une seconde page pour nous transporter instantanément ici. Il ne lui reste que deux pages, le pauvre. Que se passera-t-il s’il perd la dernière ? Je parle doucement parce qu’il est dans ma cabine, juste en dessous !
Wisigoth !… Brontosaure !… Moule à gaufres !… Analphabète !… Cannibale !… Je n’entends pas, je lis les pensées, tu peux toujours baisser la voix ! Ah les gosses !
Tous avaient perçu cette apostrophe, le capitaine mit son index vertical sur ses lèvres.
Crétin !
— Deux jours après la catastrophe nous déchargions et débarquions les bénévoles. Et depuis, Tonnerre de Brestia ! je vous attends, je me suis dit que vous auriez besoin d’un bon navire, avec un équipage habitué à vos… particularités ?
— Merci capitaine dit Roland après avoir reçu de chacun un acquiescement
— Nous embarquerons après avoir offert les mules aux autorités, elles leur seront très utiles, nous trouverons bien preneurs pour les chevaux de selle, déclare Ainu.
— Faites attention en ville, il y a des agitateurs Shannoniens qui incitent la population à se soulever contre les autorités soi-disant incompétentes face à la catastrophe. Shannon aimerait avoir un port sur la côte ouest, comme les autres contrées !
Au retour d’Ainu, qui s’était fait accompagner par Adèle – dans une ville dans laquelle une émeute est susceptible d’éclater, deux épées valent mieux qu’une. L’équipage largue les amarres et met le cap sur une anse sise à cinq lieues au nord de Fiume, à la demande d’Anthéa qui a un ami à y prendre.

***
Auteur de ce chapitre : scifan.

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